par NATALIE FRICERO
Depuis 2005, on dénombre en France de très nombreuses propositions de création d'une action de groupe. Le colloque annuel de l'Association française des docteurs en droit, qui se déroulera le 12 décembre 2008 à la Maison du barreau de Paris sous la présidence de Pierre Mazeaud, sera l'occasion de faire le point sur ces propositions. Il est vrai que de nombreux arguments militent en faveur de son introduction.
L'action de groupe se définit comme un modèle d'action en justice permettant à une personne (physique ou morale, comme une association) d'exercer une demande en justice au nom d'un groupe d'individus ayant subi un préjudice similaire en raison du fait dommageable commis par le même acteur économique. Le juge statue d'abord sur la recevabilité de la demande, puis sur le principe de la responsabilité, enfin, toutes les personnes qui ont décidé de se joindre au procès et qui démontrent avoir subi un préjudice peuvent obtenir le versement de la réparation, soit à l'amiable, soit sur décision du juge. Ce processus est connu depuis 1978 au Québec, les Etats-Unis l'ont adopté sous le nom de « class action », et certains Etats de l'Union européenne ont introduit une action de groupe dans les années 2000 (l'Allemagne, l'Angleterre, la Suède et le Portugal).
Lorsqu'une personne subit un dommage de faible importance, le coût d'un procès civil, les frais d'expertise, les honoraires d'avocat la dissuadent à l'évidence de demander seule réparation en justice. Dès lors, l'acteur économique qui est à la source d'une multitude de petits préjudices ne sera jamais condamné à réparation. Au contraire, si le groupe de victimes peut agir de concert, les frais seront divisés, et le recours à la justice sera économiquement supportable. Deux raisons au moins imposent aux autorités publiques de garantir une réparation judiciaire effective. D'abord, le Conseil constitutionnel a jugé en avril 1996 que le droit de recourir au juge est un droit protégé par la Constitution, et la Convention européenne des droits de l'homme, ratifiée par la France, impose aux Etats signataires de permettre ce recours effectif au juge. Ensuite, le droit d'obtenir réparation des conséquences d'une faute a également une valeur constitutionnelle, reconnue en novembre 1999. Il résulte en effet de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. L'action de groupe permet de rendre effectif et concret ce droit de recourir à un tribunal pour obtenir réparation.
Grâce à l'action de groupe, les consommateurs retrouveront la confiance dans le marché, et ne suspecteront pas tout un secteur de l'économie en raison de l'absence de sanction des comportements fautifs de certains opérateurs ! La libre concurrence a pour corollaire incontestable la responsabilité des acteurs économiques, qui doivent respecter certaines règles du jeu. Néanmoins, la sanction des comportements fautifs peut demeurer civile si elle est efficace : l'action de groupe constitue une alternative à la dépénalisation de la vie des affaires. De plus, une certaine homogénéisation des systèmes judiciaires est souhaitable pour les pays de l'Union européenne : certains Etats ayant déjà instauré une action de groupe, cela devrait inciter les autres pays à faire profiter leurs propres consommateurs d'avantages identiques.
La pratique des « class actions » américaines révèle l'existence de poursuites abusives contre les entreprises, contraintes de régler le conflit « à l'amiable » pour éviter des frais importants de procédure, et une atteinte à leur crédit. Mais les principes qui fondent le système juridique français permettent d'éviter ces risques. Ainsi, aux Etats-Unis, les juges condamnent à des dommages et intérêts dits « punitifs », c'est-à-dire supérieurs au montant des préjudices subis par les personnes. En France, ceci est juridiquement impossible, parce que la réparation couvre uniquement le préjudice prouvé. Par ailleurs, aux Etats-Unis, les honoraires des avocats spécialisés dans l'action de groupe sont très importants, parce qu'ils sont fixés au résultat (« contingency fees »), ce qui pénalise les consommateurs. Le droit français évite cette dérive en interdisant les honoraires fixés exclusivement au résultat, et en prohibant le démarchage en vue d'une action en justice. D'autres limitations techniques devront être posées, afin qu'un équilibre soit trouvé entre les intérêts en présence...
-------------------------------------------
Natalie Fricero est professeur des universités, administratrice de l'Association française des docteurs en droit.