Le Journal Les Echos en 1908 : il y a 100 ans
Quoi de neuf cette année ? On peut imaginer les impressions consignées, en vrac, dans son journal de voyage par un visiteur étranger. La France est gouvernée par un président au sang vif, qui heurte parfois l'opinion en lançant, en public, des provocations à ses contradicteurs, et auquel son passage au ministère de l'Intérieur a conféré une réputation d'homme à poigne. L'heure est aux réformes, mais les projets sur un grand réaménagement fiscal et sur les retraites provoquent déjà des levées de boucliers. La gauche a remporté les élections municipales. Et la France s'inquiète. Elle s'inquiète de l'agitation des banlieues, et ressent douloureusement les violences parfois meurtrières dont les médias diffusent les récits. Elle s'inquiète de l'érosion de ses parts de marché face à la puissance industrielle allemande - le gouvernement s'apprête d'ailleurs à renforcer le dispositif d'exportation. Elle s'inquiète d'un monde où les hommes, les marchandises et les capitaux se déplacent de plus en plus vite.
Vous avez reconnu, bien sûr, l'année... 1908. Avec, par ordre d'entrée en scène, le président (du Conseil) Georges Clemenceau, ex-ministre de l'Intérieur, harangueur redoutable et amateur de duels ; une réforme fiscale - la création de l'impôt sur le revenu - que le ministre des Finances Joseph Caillaux a présentée et va bientôt faire adopter par la Chambre des députés, mais qui ne sera entérinée par le Sénat que six ans plus tard ; une loi sur les retraites retoquée, elle aussi, par le Sénat (décembre 1908) ; les élections municipales gagnées par les radicaux-socialistes et les républicains de gauche (mai) ; les manifestations ouvrières de Vigneux, Draveil et Villeneuve-Saint-Georges (juillet-août), dont la répression brutale provoque quatre morts, soulevant une immense émotion dans le pays ; la création d'un corps d'attachés commerciaux à l'étranger (décembre) ; et enfin, cette ouverture de l'économie internationale que les historiens appellent aujourd'hui la « première mondialisation ».
1908, l'année de la naissance des « Echos ». Ce petit parallèle historique ne prétend pas démontrer que l'histoire est un éternel recommencement - à quoi servirait la presse, qui se nourrit d'actualité toujours renouvelée ? On peut seulement repérer, à un siècle d'intervalle, quelques constantes françaises : une certaine mise en scène de la politique ; le rôle des crises, à la fois comme moteurs du changement et comme expression des déchirements et des réconciliations nationales ; un mélange d'appréhension et de volontarisme face aux évolutions du monde.
Au début du siècle dernier, la France était, comme aujourd'hui, menacée par une crise financière née hors de ses frontières. La presse, à cette occasion, ne brilla pas par sa déontologie : c'est entre 1904 et 1908 que le placement des emprunts russes a battu son plein, sous l'impulsion de journaux généreusement « commissionnés » pour les recommander aux épargnants. Mais c'était, justement, avant la naissance des « Echos »...