L'Allemagne a remboursé ses dernières dettes datant de la 1ère Guerre mondiale
Les Allemands célèbrent le dimanche 3 octobre 2010 , le 20e anniversaire de la réunification. Mais le lendemain ils pourront fêter un autre événement : la République fédérale aura officiellement soldé ses obligations financières issues indirectement du Traité de Versailles. Les détenteurs des dernières obligations en lien avec les réparations exigées par les alliés toucheront 100 millions d'euros de capital et 1,5 million d'euros d'intérêts. Retour sur une dette à rebondissements qui a marqué l'histoire du siècle dernier.
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Tout commence donc le 28 juin 1919. En signant ce jour-là, non sans protestation, le traité de paix, la jeune République de Weimar reconnaît la responsabilité principale de l'Allemagne dans le déclenchement de la première guerre mondiale et en accepte les conséquences : le paiement de réparations pour dommages de guerre. Quoique divisés sur le sujet, les alliés ont finalement accepté ce principe de la réparation financière à la responsabilité morale. C'est une victoire pour la France de Clemenceau. Le ministre des Finances de l'époque, Louis Lucien Klotz, se félicite : " les contribuables n'ont pas à s'inquiéter, l'Allemagne paiera ". Sûr de son fait, le gouvernement français a avancé plusieurs arguments : le territoire français ravagé par la guerre, ses huit départements occupés pendant quatre ans. Il a rappelé qu'en 1815 comme en 1871, la France avait dû elle-même accepter le paiement de lourdes indemnités de guerre et qu'elle les avait payées par anticipation. Pourquoi l'Allemagne de 1919, dont le territoire n'a pas été touché par les combats, ne pourrait-elle relever un défi si brillamment surmonté par la France de 1871, frappée par l'occupation et la guerre civile ? Clemenceau qui était déjà homme politique à l'époque, n'a pas oublié les 5 milliards de francs-or réclamés alors par Bismarck. Il n'a pas non plus oublié qu'alors, on jugeait la facture insurmontable pour la France. Il ne s'en laisse donc pas conter par les mises en garde des Anglo-américains inquiets de trop pénaliser l'économie allemande. John Maynard Keynes qui publie Les Conséquences Economiques de la Paix à l'automne 1919 et critique les concessions faites aux Français résumera ces inquiétudes. Selon lui, les réparations sont une chimère qui empêcheront la reconstruction économiques de l'Allemagne et, donc, rendra impossible le paiement de toute indemnité. La commission des réparations qui, en avril 1921, évalue le montant à payer à 132 milliards de marks-or n'est cependant pas totalement sourde à ces arguments. Si la facture est très lourde, elle est aménageable. L'Allemagne devra d'abord payer 50 milliards de marks sous forme d'annuités de 2 milliards, puis la commission évaluera l'état de l'économie allemande avant de mettre en place la suite du paiement
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Avant 1929, la France aligne les excédents budgétaires grâce à l'Allemagne
Pourtant, à peine fixées, ces conditions sont déjà impraticables : l'Allemagne est ruinée et dépourvue de réserves d'or et de devises. Tout paiement des réparations induit le recours à la planche à billets pour les dépenses courantes. Il alimente les attaques contre le mark et l'hyperinflation. En 1922, un moratoire partiel est instauré, mais Berlin refuse de payer pour 1923. Le président du conseil français, Raymond Poincaré, décide alors de « se servir en nature » et occupe la Ruhr. Mais la manœuvre ne contribue qu'à affaiblir encore l'Allemagne. Sous la pression anglo-américaine et sous la menace d'une attaque contre le franc, Poincaré doit accepter de négocier un réaménagement des réparations. Un plan est alors proposé par Charles Dawes, un banquier américain. Ce dernier a l'idée d'aménager les annuités en les abaissant et d'assurer par des emprunts internationaux la capacité future de paiement de l'Allemagne.
Il entend donc faire du paiement des réparations une question financière et non plus purement politique. Pour cela, il propose le lancement de dix emprunts à 7 % d'une maturité de 25 ans et d'un montant global de 800 millions de marks. Les réserves de la Reichsbank sont reconstituées : le nouveau mark est stabilisé. L'économie allemande peut repartir, dopée par la reprise de la deuxième partie des années 1920, et notamment par les exportations vers les Etats-Unis. L'Allemagne finalement paie. Et la France en profite. « Les réparations ont alimenté la prospérité budgétaire de la France à la fin des années 1920 », souligne Olivier Feiertag, professeur d'histoire économique à l'université de Rouen. En effet : de 1926 à 1929, Paris aligne des excédents budgétaires, celui de 1929 atteignant 5 milliards de francs, un record.
Mais cette prospérité dure peu. Conformément au plan Dawes, les paiements s'alourdissent et vident les caisses de l'Allemagne. « Coté allemand, les réparations ont eu un impact énorme : à la fin des années 20, l'Allemagne est devenue le premier débiteur net du monde », relève Olivier Feiertag. L'excédent commercial encore fragile ne peut alors compenser durablement une telle charge. En 1930, les réserves de la Reichsbank ne dépassent plus 3 milliards de marks. Il faut donc renégocier. Cette fois, c'est le président de General Electric, Owen Young, qui fait de nouvelles propositions, dans le même esprit que Charles Dawes : dépolitiser les réparations. Le montant à payer est alors réduit d'un tiers et étalé sur 59 ans. Une nouvelle institution est créée pour gérer les paiements : la banque des règlements internationaux, la BRI. Basée à Bale, elle a vocation à être plus indépendante que la commission alliée des réparations. Pierre Quesnay, un jeune fonctionnaire français et déjà brillant expert financier, est nommé à sa tête. Il a participé avec la Délégation française à la préparation du plan Young et joué un rôle de premier plan dans l'élaboration du statut définitif de la Banque des Règlements internationaux.
Parallèlement, comme en 1924, on lance une série d'emprunts en huit devises pour apporter un peu d'air frais au gouvernement allemand. Les « emprunts Young » se montent à 1,2 milliard de marks. Leur intérêt de 5,5 % et leur maturité de 35 ans n'attirent guère les investisseurs quelques semaines après le krach d'octobre 1929, à Wall Street. Il faut ajouter une garantie : le remboursement en or. Finalement, les Français se montrent les moins frileux. Il est vrai que l'onde de choc de la crise est encore loin de l'Hexagone. La part des Français dans les souscriptions s'élèvent ainsi à 28 %, soit presque autant que les Américains.
En 1932, les alliés renoncent à toute indemnité de guerre
La vie du plan Young sera pourtant éphémère. En 1931, la crise financière et économique frappe l'Allemagne de plein fouet. La dépendance du pays vis-à-vis des exportations américaines et ses faibles réserves en devises la rendent très vulnérable. Rapidement, on se rend compte que tout paiement des réparations serait suicidaire. La communauté internationale décide alors de renoncer aux réparations. Keynes avait finalement eu raison. Après le moratoire d'un an décidé en juin 1931 par le président américain Hoover, les alliés décident de renoncer à Lausanne en juillet 1932 à toute indemnité de guerre. Voilà donc l'Allemagne libérée des réparations. Elle aura finalement payée 23 milliards de marks, soit 17 % du montant prévu en 1921. Mais le sujet aura empoisonné ses relations avec le monde et sa politique économique.
Berlin doit encore rembourser ses emprunts
Quitte des réparations, l'Allemagne n'en doit pas moins honorer les dettes qu'elle a contractées sur les marchés lors des emprunts Young et Dawes. Mais en ce début des années 1930, elle en est bien incapable. Les réserves de devises et d'or fondent comme neige au soleil. En juillet 1931, le chancelier Brüning instaure le contrôle des changes, ce qui limite les sorties de devises et les versements aux débiteurs internationaux du Reich. L'arrivée d'Adolf Hitler au pouvoir en janvier 1933 ajoute la mauvaise volonté aux difficultés financières. En mai 1934, les réserves de la Reichsbank ne dépassent pas 220 millions de marks. Le paiement des dettes internationales est suspendu.
Le Reich propose alors de reprendre partiellement les paiements, mais en échange de bénéfices commerciaux pour les produits allemands. Les nations concernées acceptent, mais la guerre met fin aux versements. Seuls les créanciers « neutres » suédois ou suisse seront payés jusqu'en 1945.
La victoire des alliés en mai 1945 transforme l'Allemagne en territoire occupé. Le pays n'existe plus, il ne peut donc honorer sa dette. La création de la RFA en 1949 et de la RDA la même année relance la question de l'héritage de la dette du Reich. Le chancelier ouest-allemand Konrad Adenauer, conseillé par le banquier Hermann Abs, décide alors de reprendre la responsabilité de la dette d'avant-guerre. Il le déclare en 1951 aux alliés et des négociations s'engagent alors à Londres pour définir le mode de remboursement de cette dette. Que veut Adenauer ? Montrer la continuité entre l'Allemagne et la RFA, mais aussi et surtout donner à la RFA une valeur exemplaire sur la scène financière internationale. Prouver que l'Allemagne paie ses dettes pour pouvoir à nouveau emprunter et alimenter ainsi le miracle économique naissant. Evidemment, ce mouvement doit se faire à moindre coût pour ne pas gêner l'essor du pays.
Adenauer réussit son pari
Le 27 février 1953, un accord est signé à Londres, qui donne satisfaction à Adenauer. La dette allemande d'avant-guerre sera honorée, mais de nouvelles obligations seront émises. Les emprunts Dawes seront remboursés en 1969, les emprunts Young en 1980. Les taux versés sont réduits de 7 à 5 % pour les emprunts Dawes, de 5,5 à 4,5 % pour les titres Young. Mais l'Allemagne a posé ses conditions : la clause « or » est supprimée et le paiement se fera en dollars au taux du 1er août 1952. C'est 40 % de moins que le taux de change de 1924. Un tour de passe-passe auquel s'ajoute une procédure de « validation ». Les Allemands prétendent en effet que, lors du siège de Berlin, les Russes ont dérobé les titres rachetés par les nazis sur les marchés internationaux. Afin d'éviter de subventionner l'ennemi rouge, on demande aux porteurs de prouver que les titres n'étaient pas sur le territoire allemand en 1945. Une démarche parfois difficile, puisque il s'agit de titres au porteur. Mais selon Hans-Georg Glasemann, expert auprès de la chambre de commerce de Francfort et spécialiste de la question, les refus de validation sont restés rares. Pour les emprunts européens, les validations ont été globales, mais pour, les Américains, elles doivent être individuelle. 1 % des titres américains présentés n'auraient alors pas été validés.
Au total, selon Thimoty Guinanne, de l'université de Yale, les accords de Londres ont pourtant permis de réduire de moitié le poids total de la dette d'avant-guerre. Adenauer a réussi son pari : gagner la confiance des marchés et réduire la dette d'avant-guerre. L'Allemagne se conformera scrupuleusement aux accords de Londres. Son immense excédent budgétaire transformera les sommes à payer (350 millions de marks en 1958, correspondant aux dettes d'avant guerre) en bagatelles. D'autant que les surplus commerciaux allemands ne cessent de gonfler, passant de 5 à 18,4 milliards de marks entre 1958 et 1968. Cette année là, les remboursements liés aux accords de Londres représentent moins de 2% de l'excédent commercial... En 1983, les derniers emprunts d'après-guerre sont remboursés. L'affaire des réparations semble close. Elle ne l'est pas encore.
La RFA avait refusé à Londres de payer les intérêts des emprunts d'avant-guerre entre 1945 et 1952. Elle se voulait bien l'héritière du Reich, mais ne voulait pas seule assumer le paiement de sommes qu'elle estimait dues par elle et par la zone d'occupation soviétique devenue RDA. Pour sauver la face, on ajouta donc aux accords de 1953 une clause qui avait alors l'apparence d'une plaisanterie. Le paiement des intérêts concernés était soumis à la « réunification de l'Allemagne ». Des certificats
donnant droit à cet invraisemblable paiement était distribué aux porteurs.
Avec la réunification, les paiements reprennent
Le 3 octobre 1990, l'Allemagne retrouvant son unité, le gouvernement de Bonn considère pourtant que la condition est remplie. C'était aussi une façon, devant certaines inquiétudes européennes, de prouver que par « réunification », l'Allemagne n'entendait pas le retour aux frontières de 1937. Des titres nouveaux sont donc émis pour les porteurs de certificats. Portant intérêt à 3 %, ils regroupent le montant des huit années d'intérêts non versés, le taux ayant été revus à la baisse. C'est cet emprunt, dernier rejeton des obligations Dawes et Young des années 1920, qui sera finalement remboursé ce lundi 3 octobre 2010.
Le rideau est-il baissé ? L'Allemagne veut y croire. En 1997, elle a cessé d'accepter a conversion des certificats et avait auparavant mené une intense campagne publicitaire aux Etats-Unis pour retrouver les porteurs de bons Young et Dawes. Mais il y aura bien un épilogue à cette longue histoire car plusieurs questions restent en suspens. Hans-Georg Glasemann exhibe ainsi un emprunt Young en francs français que la république fédérale refuse d'honorer. Ce titre n'a pas été invalidé, mais Berlin estime qu'il n'a pas fait l'objet d'une procédure de validation individuelle. « Pour les titres français, aucune procédure individuelle n'a jamais été prévue après les accords de Londres », remarque l'expert qui estime que l'attitude de l'Etat fédéral est, dans ce cas, « illégale ». Aux Etats-Unis, l'affaire revient régulièrement sur le devant de la scène depuis quinze ans.
Quand les Américains rechignent
Plusieurs porteurs américains ont en effet refusé les accords de Londres, comme ils en avaient le droit. A partir de 1994, il leur était permis de réclamer leur paiement. Mais ils n'acceptent pas la procédure de validation mise en place par la RFA et le refus de cette dernière de payer en valeur en or actualisée. En 2004, un certain Jeffrey Weston, de Las Vegas, publiait un ouvrage, « la bombe à retardement financière de l'Allemagne » où il affirmait, documents à l'appui, que les Russes n'avaient pu voler les titres rachetés par l'Allemagne. Selon l'Américain, la procédure de validation mise en place après les accords de Londres ne visait qu'à supprimer de la dette. Il réclamait donc le paiement de la valeur en or des emprunts. Selon ses calculs, la dette encore pendante de l'Allemagne dépasserait les 600 milliards de dollars! Prêt à en découdre, Jeffrey Weston tente alors de lever de lever des fonds pour acheter des emprunts et partager les gains d'un procès qu'il se dit sûr de gagner. Il parviendra ainsi à glaner 7,7 millions de dollars.
Mais en 2006, la SEC met fin à ses activités : Jeffrey Wilson avait utilisé pas moins de 600.000 dollars pour s'acheter quelques « cadeaux personnels ». Reste qu'au-delà de l'anecdote, la théorie défendue par Jeffrey Weston reste d'actualité aux Etats-Unis. En août dernier, un tribunal de Floride a reconnu la recevabilité d'une plainte de la compagnie World Holdings qui réclame 400 millions d'euros à l'Allemagne. Son avocat, Mike Elsner, du cabinet Motley Rice, estime que « les porteurs américains n'ont pas à se soumettre à une procédure de validation de leurs débiteurs ». Il s'appuie sur une déclaration du gouvernement américain de 1993 qui défend cette interprétation et prévient que ce jugement, qui pourrait intervenir dès l'an prochain, sera celui de la « capacité de l'Allemagne à honorer ses dettes ». Décidément, l'ombre des réparations n'a pas encore complètement disparu au-dessus de la tête du gouvernement allemand. D'autant que, comme le remarque Hans-Georg Glasemann, « il n'existe pas de date de prescription pour ces emprunts ». Présentés, ils doivent être remboursés. Le dernier combat de la première guerre mondiale sera jouera donc devant les tribunaux américains.