Cour de Cassation - Mai 2013
CIVIL | Bien - Propriété | Droit international et communautaire
Le conflit entre l’ancien preneur à bail emphytéotique de la cathédrale Saint-Nicolas à Nice et l’État russe trouve son épilogue national dans cette décision qui écarte l’application de l’accord franco-russe de 1997 et refuse le bénéficie de l’usucapion à l’association cultuelle qui s’était maintenue dans les lieux postérieurement au terme du bail.
En 1865 le tsar Alexandre II acquit, à titre personnel, un terrain à Nice sur lequel il fit édifier la cathédrale Saint-Nicolas. Après que la propriété de l’ensemble a été transférée à l’empire russe par un édit (oukase) de 1908, cet édifice religieux – qui est aujourd’hui l’un des lieux les plus visités de la préfecture du département des Alpes-Maritimes – fut donné à bail emphytéotique à une première association en 1925 aux droits de laquelle a succédé l’association cultuelle orthodoxe russe (l’ACOR).
Cette dernière était poursuivie par l’État russe qui entendait contester, à son bénéfice, la qualité de propriétaire qu’elle revendiquait sur le terrain et la cathédrale. Les prétentions de l’État russe furent favorablement accueillies en première instance (TGI Nice, ainsi qu’en appel (Aix-en-Provence, 19 mai 2011, ce qui conduisit l’association cultuelle à former un pourvoi.
Plusieurs griefs été adressés à la cour d’appel.
Il lui été tout d’abord reproché d’avoir écarté l’accord franco-russe du 27 mai 1997 qui prévoit que la partie russe ne peut entreprendre à l’encontre de la partie française d’actions sur la base de créances financières et réelles de quelque nature que ce soit apparues antérieurement au 9 mai 1945. L’association contestait l’analyse des juges du fond qui avaient retenu que la créance de restitution ne pouvait être que postérieure au terme du bail emphytéotique ; or, celui-ci ayant été fixé au 31 décembre 2007, l’exception relative aux créances nées avant 1945 ne pouvait jouer au bénéfice de l’association pour opposer une fin de non-recevoir à l’action de l’État russe. Pour l’auteur du pourvoi, la créance de restitution du bien immobilier naît au jour de la conclusion du contrat, soit, en l’espèce en 1925, c’est-à-dire bien avant la date fixée par l’accord franco-russe.
La Cour de cassation ne répond pas à cet argument, mais l’écarte en soulignant que l’accord en cause avait pour objet d’apurer un contentieux financier entre les États, « le règlement des litiges liés aux créances entre les particuliers et chacun de ces États demeurant exclusivement de la compétence nationale ». Un particulier ne saurait se prévaloir de cette convention. Il n’est pas aisé de tirer des conclusions d’un simple silence, de surcroît dans le cadre d’un arrêt de rejet, mais à l’aune de certaines décisions de la Cour de cassation , il paraît raisonnable de considérer qu’elle admet que la créance de restitution naît effectivement au jour de la conclusion du bail. C’est, en effet, l’une des obligations essentielles mises à la charge de l’emphytéote même si son exécution est reportée à l’arrivée du terme.
Plus classique, l’autre argument portait sur les critères de l’usucapion. L’association cultuelle reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir qualifié d’acte de possession l’utilisation qu’elle avait faite du bien litigieux depuis 1927. La troisième chambre écarte l’argument en renvoyant au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond qui n’avaient pas vu dans le comportement de l’association un acte dépourvu d’équivoque comme l’exige pourtant le texte de l’article 2261 du code civil en vertu duquel « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ». L’association n’ayant jamais contesté l’existence du contrat en vertu duquel elle exerçait ses prérogatives sur les biens, elle ne pouvait être qualifiée de possesseur. Ce qui distingue le possesseur du détenteur résulte dans la volonté du premier d’agir en qualité de propriétaire – qu’il sache ou qu’il ignore la réalité juridique de sa situation n’a d’incidence que sur le délai de la prescription. En l’espèce, l’association ne pouvait espérer voir ses prétentions être admises qu’a après avoir préalablement fait tomber le contrat de bail emphytéotique ce qui n’était pas le cas.