Mécontente du montant de l'indemnisation, l'Afper, l'une des association de porteurs d'emprunts russes, qui revendique 15.000 adhérents, a décidé d'intenter des actions en justice contre l'Etat moscovite.
L'Association française des porteurs d'emprunts russes attaque Moscou en justice
22 Decembre 1998
Alors que les opérations de recensement des ayants droit se poursuivent jusqu'au 5 janvier dans les perceptions, les porteurs d'emprunts russes ne désarment pas. Considérant que l'enveloppe de 400 millions de dollars prévue pour l'indemnisation dans les accords signés entre Paris et Moscou ne constitue jamais qu'un acompte, l'Association française des porteurs d'emprunts russes (Afper), qui revendique 15.000 adhérents, vient ainsi d'attaquer l'Etat moscovite en justice. Certes, explique son président, Pierre de Pontbriand, la France, en signant ces accords, a renoncé à exercer sa protection diplomatique à l'égard des créanciers privés français.
Mais ces derniers conservent la possibilité de présenter directement leurs revendications auprès des autorités russes. Estimant que les porteurs sont spoliés par une indemnisation qui ne représentera jamais que de 1 % à 2 % du montant de leurs créances, l'Afper a donc mandaté une équipe de juristes pour engager différentes actions judiciaires, non seulement en Russie, mais aussi en France.
L'avocat de l'association, Me Francis Baillet, assisté de Me Françoise Richards, spécialiste en droit international, et de son correspondant au barreau de Moscou, Me Arthur Bassistov, ont d'ores et déjà initié une série d'actions pour le moins spectaculaires. C'est ainsi que 3.500 dossiers, représentant 300.000 titres, soit une créance de 2,5 milliards de francs en capital et de 10 milliards de francs en tenant compte des intérêts, ont donc été déposés hier devant le tribunal fédéral de Moscou. Cette action vise à obliger les autorités judiciaires russes « à faire la preuve de leur compétence en qualité de sujet de droit, à démontrer leur crédibilité à rendre une justice indépendante basée sur le droit et à rappeler, comme les responsables politiques russes l'ont admis, que les créances des porteurs d'emprunts sont fondées à leur principe ».
Clairement, les avocats de l'Afper veulent contraindre les tribunaux russes à donner leur propre interprétation des accords bilatéraux du 26 novembre 1996 et du 27 mai 1997 qui ont décidé du montant global de l'indemnisation. Or, rappellent-ils,, « ces accords prévoient que la France doit assumer seule la responsabilité exclusive du règlement des créances, alors que par ailleurs, par la voix de ses dirigeants politiques, elle prétend que les créances ne sont pas effacées par les accords internationaux ».
Parallèlement à l'action menée en Russie, les avocats de l'association ont déposé plusieurs requêtes devant les tribunaux français visant à obtenir la saisie à titre conservatoire de biens appartenant à l'Etat russe situés en France.
Demande de saisie conservatoire
Certes, les Etats étrangers bénéficient d'une immunité d'exécution. Mais il ne s'agit pas d'un principe absolu, assurent les avocats de l'Afper, en se fondant sur l'arrêt rendu en mars 1984 par la Cour de cassation dans l'affaire qui opposait Eurodif à la république d'Iran. Cette immunité d'exécution peut être exceptionnellement écartée lorsque le bien saisi est affecté à une activité non diplomatique, relevant du droit privé. Si le somptueux hôtel particulier du 79, rue de Grenelle, qui sert de résidence privée à l'ambassadeur de Russie à Paris, ne peut être saisi, il n'en va pas de même, selon les conseils de l'association, d'un certain nombre d'autres biens, comme un « magnifique » château, dont la localisation est gardée confidentielle « afin d'éviter toute initiative préalable des autorités russes », et différents appartements « situés pour la plupart dans le 16e arrondissement de Paris ».
Au-delà de son aspect médiatique, l'initiative de l'Afper est importante. Jamais, depuis quatre-vingts ans, les porteurs de titres russes n'avaient osé entamer une action judiciaire contre Moscou. Si jamais ils devaient obtenir une mesure de saisie conservatoire devant les tribunaux français, nul doute que ce dossier, que l'on croyait clos avec les accords bilatéraux de 1996 et 1997, serait relancé.