Pour les porteurs français d'emprunts russes, le mémorandum du 26 novembre 1996 sur l'indemnisation de leurs créances consiste à leur faire indirectement supporter l'apurement des dettes de la France à l'égard de la Russie.
Les porteurs français d'emprunts russes réclament une réévaluation substantielle du montant de l'indemnisation
13 Octobre 1997
Depuis sa signature le 26 novembre 1996, le mémorandum conclu entre Paris et Moscou pour l'indemnisation des porteurs français de titres russes était resté secret, dans l'attente de sa ratification par le Parlement. Le mystère a été levé vendredi à l'initiative de l'Apfer, l'une des principales associations de porteurs d'emprunts russes qui revendique plus de 12.000 adhérents. Devançant les pouvoirs publics, le président de l'Apfer, Pierre de Pontbriand, a, en effet, rendu public le texte de ce mémorandum, ainsi que celui de l'accord franco-russe du 27 mai 1997 qui le complète.
Ces deux textes, le premier d'une vingtaine de lignes seulement, le second un peu plus long puisqu'il comporte 8 articles, confirment que la Russie s'est engagée à payer à la France, en 8 versements semestriels de 50 millions de dollars, une somme globale de 400 millions de dollars (environ 2,4 milliards de francs) pour le règlement définitif de toutes les créances réciproques entre les deux Etats antérieures au 9 mai 1945. L'hypothèse que beaucoup subodoraient se trouve ainsi clairement validée : l'enveloppe affectée à l'indemnisation des porteurs français de titres russes est bien une soulte résultant d'une compensation entre les créances réciproques de Paris et de Moscou. Pour l'Apfer, la cause est donc entendue. « Cela revient à faire payer indirectement les dettes de la France vis-à-vis de la Russie par les porteurs français d'emprunts russes, c'est inacceptable », s'insurge Pierre de Pontbriand. Son association entend donc demander « une réévaluation très substantielle du montant de l'indemnisation » dans le cadre de la prochaine discussion au Parlement du projet de loi de ratification du mémorandum, déposé le 24 septembre dernier sur le bureau de l'Assemblée nationale. L'Apfer estime, en effet, que les 400 millions de dollars prévus par l'accord franco-russe ne représentent que 1 % de la dette de la Russie à l'égard des porteurs français, alors que les banquiers membres du Club de Londres vont, par ailleurs, récupérer la totalité de leur créance dans le cadre d'un rééchelonnement sur 25 ans assorti d'un délai de grâce de 7 ans.
Une impatience légitime
Cette somme apparaît d'autant plus dérisoire qu'elle doit servir à indemniser non seulement les porteurs d'emprunts russes, mais aussi tous ceux qui ont été spoliés par la Russie à des degrés divers à l'occasion des deux guerres mondiales.
L'Apfer propose ainsi la réintégration dans l'enveloppe de l'indemnisation de 47 tonnes d'or versées à l'Allemagne par le gouvernement soviétique lors du traité de Brest-Litovsk et transférées à la France dans le cadre du traité de Versailles, toujours stockées dans les coffres de la Banque de France. « Cela permettrait, explique l'association, d'augmenter de 125 % le montant de l'enveloppe d'indemnisation et de verser immédiatement un acompte en espèces aux porteurs français d'emprunts russes. » Elle réclame aussi que ces emprunts soient échangés contre de nouvelles obligations cotées émises par la Russie dans des conditions identiques à celles retenues dans le cadre des accords du Club de Londres.
Faute d'une solution rapide, l'Apfer menace de relancer sa campagne internationale auprès des investisseurs internationaux pour leur démontrer que la Russie se trouve toujours en grave défaut de paiement et qu'il est donc dangereux de lui prêter de l'argent. Elle envisage aussi de se retourner directement contre les autorités russes.
Devant la lenteur du processus d'indemnisation, l'impatience des porteurs est tout à fait légitime. Mais la complexité du dossier, vieux de quatre-vingts ans, nécessite d'abord d'établir un recensement précis des ayants droit, dont l'organisation a été confiée à une commission « ad hoc », présidée par le conseiller d'Etat Jean-Claude Paye (« Les Echos » du 9 octobre). C'est seulement une fois ce recensement réalisé que la commission sera en mesure d'avancer des propositions pour l'indemnisation. Les chances que l'enveloppe globale soit augmentée, comme le réclame l'Apfer, apparaissent cependant bien minces, dans la mesure où l'accord franco-russe est censé régler définitivement et intégralement le problème, de sorte que les revendications des porteurs ne bénéficieront plus désormais de la protection diplomatique du gouvernement français.