“Dédé la Sardine” à l'assaut des milliards de Total
L’intermédiaire André Guelfi, alias « Dédé la Sardine », et deux régions russes réclament des dédommagements astronomiques au groupe pétrolier pour une affaire qui date de 1992.
Tour Total à la Défense, au siège du géant français du pétrole, une ténébreuse affaire rend la direction de plus en plus fébrile. L’enjeu, il est vrai, est colossal et s’élève à plusieurs milliards d’euros. Le litige porte sur un très ancien contrat, presque oublié, signé en Russie il y a dix-neuf ans, à l’époque d’Elf Aquitaine et de son P-DG Loïk Le Floch-Prigent. Nous sommes alors en février 1992, après la chute de l’ex-URSS. Le patron d’Elf mandate l’un de ses intermédiaires favoris, l’inoxydable André Guelfi, alias « Dédé la Sardine », pour décrocher des gisements pétroliers dans les régions de Volgograd (l’ex-Stalingrad) et de Saratov, entre l’Ukraine et le Kazakhstan. Une filiale est créée, Elf Neftegaz, qui doit prospecter avec une société russe du nom d’Interneft.
Trois ans plus tard, Philippe Jaffré, le successeur de Loïk Le Floch-Prigent, tire un trait sur ces aventures post-soviétiques : pas une goutte de pétrole n’a été trouvée. Arrive ensuite l’affaire Elf, au cours de laquelle Le Floch-Prigent et Guelfi sont tous deux condamnés pour avoir puisé dans les caisses noires du groupe pétrolier. Chez Total, repreneur d’Elf Aquitaine en 1999, plus personne ne se soucie alors de ce contrat russe mort-né. D’autant que pendant plusieurs années, les autorités locales restent silencieuses.
C’est sans compter l’étonnant activisme de « Dédé la Sardine ». A peine sorti de prison, il dépose plainte devant le tribunal de commerce de Paris, en 1998, pour réclamer des « honoraires de résultat » sur ces champs de pétrole russes jamais exploités. Depuis, celui qui vient de fêter ses 92 ans ferraille en justice avec des prétentions à géométrie variable ayant culminé jusqu’à 4 milliards de dollars. Si dans son livre « L’original », publié en 1999, il estimait à « une centaine de millions de dollars » le prix de sa mission, la société panaméenne Blue Rapid, détentrice désormais de ses intérêts dans le dossier, a réclamé à Total 1,2 milliard de dollars, ce vendredi 6 mai, lors d’une audience discrète devant la 5e Chambre de la cour d’appel de Paris. Celle-ci tranchera le 30 juin. Allié de toujours de Guelfi, le Comité olympique russe, défendu par Catherine Boulanger et Olivier Pardo, s’est immiscé lui aussi dans ce dossier à tiroirs et demande sa part du pactole. Car en échange de son appui, Guelfi lui aurait promis une partie de sa commission ainsi que le financement d’installations sportives à Volgograd et à Saratov.
Le géant du pétrole n’exclut pas un complot de grande envergure
Mais c’est un autre volet de l’affaire qui risque de coûter très cher à Total. A l’été 2009, la société Interneft et les deux régions de Volgograd et Saratov entrent en lice. Défendues également par Olivier Pardo, elles obtiennent, en plein mois d’août et dans des conditions rocambolesques, la désignation d’un tribunal arbitral international où siègent deux Français : Jean-Pierre Mattei, ex-président du tribunal de commerce de Paris, et l’homme d’affaires Lai Kamara, aperçu durant les années 1980 dans la sulfureuse association Unidec que présidait l’ancien sous-préfet de Vichy, Maurice Papon. Leurs revendications sont encore plus astronomiques que celles de Guelfi. Elles pourraient se chiffrer en dizaines de milliards d’euros ! Elles ne portent pas, en effet, sur de simples commissions, mais sur le prétendu manque à gagner des cosignataires du contrat en raison du pétrole n’ayant pas été produit pendant les cinquante années que devait durer l’accord. Chez Total, défendu par deux pointures du barreau, Jean-Michel Darrois et Emmanuel Rosenfeld, on crie aux manœuvres frauduleuses.
Le groupe pétrolier n’exclut pas la piste d’un complot de grande envergure et met en cause l’impartialité du tribunal arbitral ainsi que la réalité de la société Interneft, qui ne serait pas la même que celle qui existait en 1992. « Les autorités russes nous ont fourni tous les documents prouvant nos droits et la filiation de la société, rétorque Me Pardo, expliquant que ses clients ont attendu la fin du procès Elf, en 2005, pour se manifester. Quant à Jean-Hugues Carbonnier, l’avocat de Blue Rapid, il reste laconique, refusant de nous révéler les noms des actionnaires de cette mystérieuse société panaméenne.
François Labrouillère et David Le Bailly - Paris Match
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