LES EMPRUNTS RUSSES, DE LA RUINE AU REMBOURSEMENT, de Joël Freymond
L'invraisemblable histoire des emprunts russes
Les valises qu'Alain Juppé avait emportées récemment à Moscou étaient chargées. Outre ses effets personnels, le Premier ministre avait, parmi ses dossiers, celui des emprunts russes.
Près d'un siècle s'est écoulé mais le sujet reste passionnel. Joël Freymond, journaliste financier, historien et, bien sûr, porteur d'emprunts russes, nous le fait vivre tout au long de 200 pages qui se lisent comme un roman.
On y découvre que pas moins de 400.000 Français seraient aujourd'hui porteurs d'emprunts souscrits par leurs parents, grands-parents ou arrière-grands-parents au temps de la Russie impériale et du tsar Nicolas II. Tous attendent que l'injustice soit réparée comme elle l'a été il y a dix ans en Grande-Bretagne, quand Margaret Thatcher a négocié une indemnité de 5 milliards de francs contre la restitution d'un stock d'or appartenant à la Russie.
Le livre de Joël Freymond n'est pas avare de détails croustillants, notamment sur la manière dont les Russes du début du siècle « achetaient » la presse économique et financière pour vanter les mérites de ces emprunts, ou encore sur l'attitude des gouvernements, des grands établissements bancaires (le Crédit Lyonnais était _ déjà _ très actif), voire des autorités de marché qui ont cautionné et encouragé ces placements. Le livre se veut aussi un plaidoyer en faveur de l'indemnisation. Doux rêve ou espoir réaliste ? Joël Freymond veut croire à la loi du marché. Ce qui lui permet d'écrire que si « la Russie a bénéficié jusque-là de concours financiers conséquents, cette aide publique ne sera pas illimitée, et le jour approche où l'investissement privé devra nécessairement prendre le relais ».
Bientôt des euro-obligations
Le Trésor russe ne travailletil pas à une prochaine émission d'euro-obligations ? « Il faudra bien alors, conclut l'auteur, que la Russie soit en règle avec ses créanciers les plus anciens pour se voir ouvrir les portes du marché financier français. Le remboursement des emprunts russes est donc, de toutes façons, inéluctable . »
Fautil alors reprocher à l'auteur un enthousiasme et un optimisme immodérés ? L'histoire qu'il raconte est tellement chargée d'émotion et d'amertume que l'on peut comprendre qu'aujourd'hui, surtout depuis que les Britanniques ont été indemnisés, jamais l'espoir n'a été aussi grand chez les descendants des souscripteurs français de titres russes.
Certes, les pouvoirs publics préfèrent entendre parler d'indemnisation plutôt que de remboursement. C'est tout ce qu'exprime ce livre qui se lit comme une fresque sur un siècle d'épargne française.
LES ECHOS - 13 mars 1996 - PATRICK LAMM