ARTICLE DU MONDE DU 22.12.07:
La nouvelle guerre froide est arrivée, elle est culturelle. Pour "punir" le Royaume-Uni d'abriter les opposants les plus hostiles à Vladimir Poutine, les autorités russes ont menacé le jeudi 20 décembre de ne pas prêter à la Royal Academy 120 oeuvres impressionnistes et postimpressionnistes provenant des collections de quatre musées russes, dont L'Hermitage (Saint-Pétersbourg) et le Musée Pouchkine (Moscou).
L'exposition "De Russie : toiles de maîtres russes et français des années 1870-1925", qui devait se tenir du 26 janvier au 18 avril à la prestigieuse Royal Academy, pourrait être annulée.
Les Londoniens risquent d'être privés de chefs-d'oeuvre jamais montrés outre-Manche, signés notamment par Matisse, Renoir, Malevitch et Kandinsky. Et en particulier de La Danse de Matisse, peinte en 1909 pour un amateur moscovite. Pour justifier cette mesure prise le mercredi 19 décembre, l'Agence fédérale pour la culture invoque le risque de saisie judiciaire de ces trésors par les descendants de leurs propriétaires expropriés après la révolution d'Octobre de 1917. Il est vrai que les héritiers du collectionneur Chtoukine pour qui Matisse a peint sa Danse, ont tenté, à plusieurs reprises, de faire saisir ces oeuvres lors de leur venue en France - sans succès.
Le Royaume-Uni ne dispose pas de législation protégeant les objets étrangers de poursuites judiciaires. Le gouvernement britannique s'est toutefois engagé à protéger les oeuvres en invoquant le State Immunity Act de 1978. La Russie a jugé ces assurances insuffisantes. Malgré l'apparente normalité de leurs relations économiques, les deux pays se trouvent engagés dans un bras de fer diplomatico-culturel.
Les relations bilatérales sont en effet au plus bas depuis l'assassinat, en novembre 2006 à Londres, du dissident Alexandre Litvinenko. La Russie refuse l'extradition du principal suspect, Andreï Lugovoï. La fermeture temporaire par la Russie des bureaux régionaux du centre culturel britannique British Council à compter du 1er janvier 2008 a fait monter la tension d'un cran. Moscou entend ainsi riposter à l'expulsion par Londres de quatre diplomates russes en juin. "J'espère que cette nouvelle est prématurée", a indiqué le directeur de la Royal Academy, Charles Saumarez Smith, qui n'a toujours pas reçu de confirmation officielle de Moscou.
L'annulation de "From Russia" porterait un rude coup à l'institution de Piccadilly. Fondée en 1768, ayant formé Reynolds et Constable, l'Académie des beaux-arts, en effet, ne bénéficie pas de subventions de l'Etat. Son budget de fonctionnement est essentiellement financé par les droits d'entrée des grandes expositions et par le mécénat.