La Fédération de Russie vient de gagner un round juridique, dans un combat qui a commencé en 1924 autour d'une seule question : « Qui est le légitime propriétaire de l'Eglise Russe ? » Hier matin la 2e Chambre civile du tribunal de grande instance de Nice, en vidant son délibéré, a désigné cet Etat comme le légitime propriétaire du terrain, de la cathédrale Saint-Nicolas et de tous les objets et oeuvres d'art inventoriés dans ces bâtiments. La Fédération de Russie qui avait initié cette procédure, il y a trois ans, ce qui correspondait, à un an près (le 31 décembre 2007), à l'échéance du bail emphytéotique a obtenu gain de cause. D'autant plus que le tribunal a ordonné l'exécution provisoire de ce jugement. Cette conjonction, jugement et exécution, a retenti comme un « oukase » dans l'autre camp, celui de l'association cultuelle installée depuis 80 ans dans la place. En l'état, la Fédération de Russie est fondée à demander les clés. Que se passerait-il dans le cas où des représentants de cet Etat se présenteraient pour prendre possession des lieux ? Cette question a laissé hier le père Jean Gueit, président de l'association cultuelle, grave et silencieux. On n'en est d'ailleurs pas là.
L'association cultuelle en appel
Hier matin en effet malgré le choc provoqué par ce jugement l'association cultuelle était prête à répliquer en deux salves. « Nous allons saisir le premier président pour demander la suspension de l'exécution provisoire », a indiqué Me Antoine Chatain. L'association cultuelle espère obtenir ce « sursis » car en matière immobilière l'exécution provisoire est rare. Le second feu sera dirigé vers Aix-en-Provence où l'association cultuelle ira chercher, en appel, un second examen de ce dossier complexe : « Nous tenterons d'obtenir une décision de justice différente, notamment au regard de la possession pendant 80 ans d'un bien. C'est la première fois que je vois un jugement qui déloge de cette manière-là un occupant installé pendant un aussi long délai... Je suis déçu de constater que le droit ne triomphe pas », a expliqué le défenseur de l'association cultuelle qui a glissé aussi : « Je constate qu'il est difficile de combattre la Fédération de Russie en France, sur le plan judiciaire ».
Propriété d'Etat
Évidemment hier personne ne se privait d'évoquer, à demi-mot, la piste politique.
Le jugement rendu hier s'appuyait bien évidemment sur d'autres ressorts. Le tribunal a retenu la vision de la Fédération de Russie défendue par Me Alain Confino qui estimait que l'église russe était une propriété d'Etat, acquise sur des fonds étatiques, ceux du tsar, et non pas à titre privé, et construite de la même manière. Dans les grandes lignes, les juges ont estimé que la transmission avait été continue depuis Alexandre II jusqu'à l'actuelle Fédération de Russie. Mais l'association cultuelle avait abattu un autre atout : elle s'estimait invulnérable, cuirassée par 80 années d'occupation, ce qui lui permettait de revendiquer, en toute légalité, le titre de propriété à travers la prescription acquisitive.
Coup de Trafalgar pour l'association : le tribunal a estimé qu'elle était un occupant titré, obligé par le bail emphytéotique. Et cette position l'empêchait de bénéficier de l'usucapion (en droit, maniére d'acquérir par possession, par usage ). Hier les deux camps étaient d'ailleurs parfaitement représentés et identifiables dans la salle d'audience et à la sortie : cris à peine retenus et sourires d'un côté, mines graves de l'autre. Cependant une assurance a été donnée : dans les prochains jours rien ne devrait troubler ce lieu de culte (dépendant du patriarcat de Constantinople et non pas celui de Moscou) qui continuera d'accueillir les fidèles, sous l'oeil de la justice divine.