Edifiante vidéo conçue par Hermitage Capital, la société d'investissement russe du financier activiste William Browder.
A ceux qui seraient tentés d'investir en Russie par le biais des prochaines émissions d'emprunts de l'Etat russe ou d'actions de sociétés russes, je conseille vivement de bien réfléchir après avoir regardé cette vidéo de 10 minutes visible en cliquant sur le lien ci-dessous.
http://www.guardian.co.uk/business/2009/oct/12/russians-grippped-by-youtube-video
Depuis deux ou trois ans ceux qui s'intéressent à la Russie ont pu lire dans la presse quelques bribes concernant les tribulations russes de Hermitage Capital.
L'histoire – qui serait incroyable ailleurs qu'en Russie - est très bien résumée dans cette vidéo dont le seul inconvénient pour nous est d'être en anglais.
Pour ceux qui ne pratiquent pas cette langue, en voici un compte-rendu en français.
Créée en 1996, Hermitage Capital Management a prospéré en investissant dans des affaires russes dont M. Browder augmentait la valeur en améliorant leur gouvernance et donc l'attrait qu'elles pouvaient représenter aux yeux d'acquéreurs ultérieurs. Mais l'éradication, au sein de ces entreprises, des pratiques illégales si courantes en Russie, a fini par créer beaucoup d'ennemis à M. Browder et à ses collaborateurs.
En novembre 2005, après un voyage à l'étranger M. Browder revient à Moscou où est basée sa société. Il se voit refuser l'entrée, au motif qu'il est interdit de séjour car il "représente un danger pour la sécurité du pays".
En janvier 2007, il a l'opportunité d'un contact direct avec Dimitri Medvedev, alors vice-premier ministre, à Davos. L'ayant informé de ses difficultés il lui demande son appui afin d'obtenir un visa d'entrée en Russie. Medvedev l'écoute affablement et lui réclame copie de sa demande de visa.
Quelques semaines plus tard le Lieutenant-colonel Artem Kouznetsov, de la brigade des crimes fiscaux du ministère de l'Intérieur, téléphone au Directeur de la recherche d'Hermitage. Il est chargé, dit-il, de remettre un rapport dans le cadre de l'instruction de la demande de visa de M. Browder et sollicite un "rendez-vous informel" avant de le rédiger; il veut montrer quelques documents, poser quelques questions... Il explique à son interlocuteur que ce qu'il pourrait dire, ainsi que les... éléments... qu'il pourrait fournir lors de ce rendez-vous risquent d'être déterminants quant à l'obtention du visa de M. Browder.
Hermitage ne donna pas suite à cette tentative d'extorsion et refusa tout contact ultérieur avec le Lt. Colonel Kouznetsov.
Le 4 juin 2007, à la tête d'une équipe de 25 policiers le Lt. Colonel Kouznetsov perquisitionne les locaux moscovites d'Hermitage, repartant avec documents et ordinateurs, au motif officiel qu'une société du groupe Hermitage aurait été insuffisamment imposée. Motif infondé, comme le montre une attestation établie par les autorités fiscales, faisant état d'un paiement excédentaire de plus de 4 millions de roubles.
Quittant les locaux d'Hermitage, Kouznetsov se rend dans les locaux des avocats du groupe, le cabinet Firestone Duncan, où se déroule une deuxième perquisition simultanée. N'obtenant pas d'explications quant au motif de la perquisition l'un des jeunes avocats du cabinet proteste. Il est entrainé par les policiers dans une salle de conférence déserte, violement battu et arrêté sans explications, après quoi il est libéré sous caution de 15000 roubles et hospitalisé pendant deux semaines.
Il s'agissait là de la première phase du plan de Kouznetsov, qui visait à établir les actifs d'Hermitage ainsi que les noms des banques auprès desquelles ils étaient déposés.
Ayant obtenu les statuts originaux, certificats et documents sociaux du groupe, les criminels les employèrent pour voler ses sociétés.
A l'insu du groupe ils lui intentèrent des procès à Kazan, Saint-Petersbourg et Moscou, sur la foi de contrats falsifiés, lors desquels des avocats sans scrupules (maitres Yulia Mayorova, Ekaterina Maltzeva, Andrei Pavlov) utilisèrent de faux mandats les autorisant à représenter le groupe Hermitage. Puis, au lieu de le défendre les avocats plaidèrent coupable.
Deux sociétés appartenant aux escrocs se virent frauduleusement attribuer des centaines de millions de dollars par ces tribunaux.
Par la suite, Hermitage découvrit que les trois individus désignés pour diriger les sociétés qui lui avaient été volées étaient des criminels: Viktor Markelov, condamné pour meurtre, Valery Kurochkin, condamné pour vol, Vyacheslav Khlebnikov, condamné pour cambriolage, bénéficiant tous les trois de remises de peines.
Les trois sociétés volées au groupe Hermitage se sont vues frauduleusement condamnées à payer $1,26 milliards aux sociétés constituées par les escrocs.
Ces trois sociétés n'auraient pu être volées, ni frauduleusement condamnées, sans les documents et certificats officiels saisis par Kouznetsov le 4 juin 2007 et placés depuis lors sous sa responsabilité.
Armés des jugements frauduleux les criminels envoyèrent Kouznetsov vers les banques (Crédit Suisse, ING, HSBC, Citibank) pour saisir les actifs du groupe. Mais ils n'avaient pas prévu que les actifs ne s'y trouveraient pas. Ainsi, toute leur machination, qui leur avait couté des millions de dollars pour corrompre les fonctionnaires, les juges, les avocats, n'avait rien produit.
Pendant une courte période, M. Browder et ses collaborateurs se sentirent soulagés, pensant que sur cet échec les criminels s'arrêteraient là.
Mais c'était compter sans la phase deux.
Les escrocs se mirent en tête d'obtenir la restitution de $230 millions d'impôts versés par le groupe Hermitage au trésor russe au titre de 2006. Ils "démontrèrent" que le versement des $1,26 milliards frauduleusement attribués aux sociétés des escrocs aurait pour effet d'annuler tout les bénéfices du groupe Hermitage au titre de 2006, que par conséquent l'impôt correspondant avait été perçu à tort et qu'il y avait lieu de le restituer. Mais les criminels étant les créanciers du groupe Hermitage par suite des jugements frauduleux de Kazan, Saint-Petersbourg et Moscou, ils demandaient que ce soit à eux et non au groupe Hermitage que soient versés les fonds.
Cette incroyable demande, déposée le 24 décembre 2007, fut acceptée sans sourciller trois jours plus tard par Olga Tzymai et Sergei Zhemchuzhnikov des 25ème et 28ème bureaux fiscaux.
Ainsi, cette énorme masse d'argent appartenant au peuple russe fut détournée sans qu'aucune question ne soit posée, avec la participation active de fonctionnaires corrompus, agissant en bande organisée jusqu'aux plus hauts niveaux de l'Etat russe.
Les autorités fiscales russes versèrent l'argent sur les comptes des escrocs ouverts auprès de deux banques obscures, Universal Savings Bank, et Interkomerz Bank. Puis les criminels effacèrent leurs traces en blanchissant l'argent et en liquidant les sociétés volées.
Hermitage a porté plainte des dizaines de fois à tous les niveaux de l'Etat russe. Aucune administration, aucune institution, aucune personne du Comité spécial anti-fraude mis en place par le président Medvedev n'a enquêté sur cette escroquerie. Mais le groupe Hermitage s'est vu accusé de crime fiscal au titre de la "restitution" d'impôts.
Il est impossible de voler $230 millions au budget de l'Etat sans l'implication de personnalités officielles de très haut niveau. Il est clair que nous pouvons voir ici les noms des représentants de l'exécutif jusqu'en haut de la chaine, ainsi que ceux des autorités fiscales, des juges importants, des avocats, ainsi que, parallèlement, de tous ceux à qui nous avons écrit et qui ont décidé de ne rien faire. Et cela, c'est un signe...
A heure ou cette vidéo est produite Serguei Magnitsky, un avocat et comptable du cabinet Firestone Duncan qui travaille sur les affaires du groupe Hermitage, est arreté par la police du ministère de l'Intérieur. Six autres avocats travaillant pour le groupe, qui ont voulu que justice soit faite en déclarant le vol de $230 millions aux autorités, ont du quitter la Russie ou sont entrés dans la clandestinité.
Voici les risques associés aux investissements en Russie aujourd'hui.
Cette histoire ressemble à un roman policier. Mais ce n'en est pas un. C'est une histoire qui se produit chaque jour.
A méditer en pensant aux récents propos du président Russe Dimitri Medvedev, qui voudrait que la Russie devienne "un membre actif et respecté de la communauté mondiale des nations libres"...
Financiers russophiles: vous aurez été prévenus!
Karloman1