.......... Je suis relativement optimiste sur le plan économique, mais beaucoup plus pessimiste dans le domaine politique. Non pas que je considère Vladimir Poutine comme un individu particulièrement mal intentionné, encore que son parcours pourrait laisser douter du caractère réellement démocratique de ses intentions, mais parce que je pense qu'il aura du mal à mener le combat sur les deux fronts. Or, son choix est fait : il a choisi l'économie parce qu'il faut bien commencer par là. Mais « l'occidentalisation dans le bon sens » qui, si je vous comprends bien, est aussi une démocratisation politique, est remise à plus tard. Et pour l'instant, la pratique du pouvoir que développe Vladimir Poutine me semble s'inscrire assez bien dans la tradition russe. Toutefois, je ne sais pas s'il avait tellement le choix, compte tenu de l'ampleur de la désorganisation dans laquelle était plongée la Russie à son arrivée au pouvoir. Il doit en effet d'abord se dégager de la tutelle des clans qui l'ont porté au pouvoir, tant dans les services secrets que dans « l'oligarchie » financière, qui constituent d'ailleurs des réseaux connexes. En outre, il doit aussi tenir compte du désarroi de l'armée et d'une grande partie de l'opinion publique russe qui reste fidèle au mythe de la grandeur : pendant des années ce mythe a cimenté ce pays, les gens ont supporté des conditions de vie très difficiles parce qu'ils étaient une puissance. A cet égard, le limogeage des amiraux qui vient d'intervenir dans la marine (1er décembre 2001) est intéressant ; Vladimir Poutine se sent désormais en mesure de rappeler des militaires à l'ordre. De même, le président russe a adopté après les attentats survenus le 11 septembre aux Etats-Unis des positions qui n'étaient pas nécessairement celles des militaires russes. Ces derniers étaient réticents à l'idée de laisser les Etats d'Asie centrale servir de bases à des opérations aériennes qui sont officiellement humanitaires, mais dont on peut supposer qu'elles ont peut-être comporté d'autres aspects. Vladimir Poutine a choisi une autre voie qui, à mon sens, correspond à ses ambitions économiques. La politique adoptée aujourd'hui par Moscou sur le marché du pétrole s'inscrit également dans cette vision ; la Russie refuse d'entrer dans une logique de limitation des ventes parce qu'elle souhaite conquérir des parts de marché dans ce secteur et parce qu'elle n'a pas intérêt à contribuer au ralentissement de l'activité économique mondiale alors qu'elle a elle-même besoin d'un contexte prospère pour sortir de la situation peu enviable qui est la sienne. Tous ces signes me paraissent encourageants. Dans l'industrie, on recommence à verser les salaires régulièrement. Malheureusement, ce n'est pas encore le cas pour les médecins, les enseignants, c'est-à-dire pour les professions du secteur public qui engagent l'avenir du pays à long terme parce qu'elles conditionnent l'état sanitaire et le niveau de formation de la population. Là, on n'a pas retrouvé une situation normale.
Que peuvent faire les grandes puissances occidentales ? Elles peuvent essayer de coopérer sur le terrain, de fournir de la formation, de se défaire d'un réflexe spontané de méfiance qui s'explique aisément. Il y aura très certainement une renégociation de la dette, car la Russie aura beaucoup de mal à faire face à ses engagements en 2003-2004. Pour le reste, les réponses aux questions fondamentales qui se posent à ce pays viendront des Russes eux-mêmes. On ne peut pas répondre à la place d'un peuple et d'une culture à la question de savoir ce qu'ils veulent devenir.
On peut penser que Vladimir Poutine a renoncé, en tout cas dans un avenir à court terme, à une logique d'expansion territoriale classique. « L'étranger proche », officiellement déclaré « zone d'intérêts vitaux » durant les années 1990, est aujourd'hui conçu comme une zone d'influence. La Russie n'a plus les moyens d'envisager un autre mode d'action et c'est, me semble-t-il, une grande chance pour elle : le pays devra bâtir sa puissance d'abord sur l'économie, et non pas sur le fameux « rouleau compresseur », selon une tradition à la fois russe et soviétique. La vraie révolution, qui reste à faire, revient à prendre conscience que la puissance est d'abord économique et à agir dans ce sens-là pour œuvrer ensuite sur le plan politique. C'est sur ce dernier point que je serais plus inquiète ; en effet, la pratique du pouvoir qu'a Vladimir Poutine conforte la Russie dans sa culture politique traditionnelle au lieu de favoriser l'évolution des comportements.
http://www.grep-mp.org/cycles/cultures/politique-russe.htm