Franz-Olivier Giesbert, directeur du Point et présentateur de Semaine critique sur France 2, présente son livre intitulé :
M. le Président, scènes de la vie politique 2005-2011 ( chez Flammarion)
La bataille était d'emblée inégale. Franz-Olivier Giesbert a trop fréquenté l'intimité de Nicolas Sarkozy pour lui laisser le privilège du mystère, ce bouclier des plus grands. De cette confrontation, ce dernier ne pouvait donc pas ressortir autrement qu'étrillé. Essoré. Bon pour la casse, à quatorze mois de la présidentielle.
Et ce désossage en règle est emballé dans le ton mi-narquois, mi-ému de celui qui observe un drôle de zèbre. "FOG" peut bien assurer qu'il aime bien Nicolas Sarkozy, avec lequel il a partagé des moments d'intimité et de connivence, s'il l'aime, il a l'amour vache.
Car Sarkozy, vu par Giesbert, est d'abord un personnage de comédie. Ridicule et touchant, rapide et déterminé, mais manquant singulièrement de profondeur. Il menace, boxe à tout-va, se vante continuellement et affirme de façon péremptoire des bêtises qu'aucun courtisan n'ose corriger.
Tenez, une saynète parmi cent autres rapportées par l'auteur : un jour, lors d'un conseil de défense où est abordée la question des ventes de centrales nucléaires civiles à l'étranger, François Fillon intervient. "Je me demande s'il est très judicieux d'installer une centrale nucléaire civile en Jordanie, tout près de la frontière avec Israël". "Allons, objecte Sarkozy. S'il y a un problème, on peut très bien désactiver les centrales à distance." "Ah bon !", fait le premier ministre avec ironie. Sur quoi, le président, piqué, se tourne vers le chef d'état-major des armées : "N'est-ce pas qu'on peut désactiver les centrales nucléaires à distance ?" Ce dernier n'osera pas objecter, répondant seulement par un borborygme incompréhensible dont le seul message est que le président a toujours raison, même quand il a tort.
"IL EST FINI"
D'où vient, cependant, que l'on ressort de ces quelque 300 pages de récit aussi lessivé que le président lui-même ? De ce que rien n'apparaît qui puisse sauver un tant soit peu Nicolas Sarkozy. "FOG" s'en défend pourtant, mollement. Comme un remords, il glisse de temps à autre que son sujet "a du génie". Règle en quelques chapitres courts les bons moments du président, ces périodes de crise économique ou de guerre en Géorgie, dans lesquels il a fait preuve d'une détermination salvatrice. Mais jamais il ne déroge à son angle de départ : traiter le président par son point faible, c'est-à-dire sa psychologie.
Même le dernier chapitre, présenté comme une ultime tentative de sauvetage, est une noyade. Giesbert, pourtant, s'y met lui-même en scène. C'est une joute de petits garçons, entre le président et le journaliste, à qui citera le plus grand nombre de livres, avec les quelques détails qui prouvent qu'on les a lus. FOG a le nez dans son verre de vin. Sarkozy enchaîne les citations entre Steinbeck, Sartre et Camus, et encore Corneille, Racine, Barbey d'Aurevilly et l'on en passe tant la liste est longue.
"Contrairement à la légende que j'ai contribué à entretenir, il est tout sauf inculte", note Giesbert. Mais il sait bien, au fond, que cette démonstration en un déjeuner manque, sinon de vérité, tout simplement d'âme.
Pour en terminer, le biographe de Mitterrand et de Chirac fait mine de tenter un rattrapage pour ce président plus jeune que lui : "Parfois, il faut cinquante ans pour faire un homme. Parfois soixante. Nicolas Sarkozy n'est plus tout à fait le même. Il a peut-être enfin commencé à se trouver. Il est fait ; il est fini." Et cette conclusion ambiguë est le dernier coup de rein avec lequel Giesbert s'extirpe de l'étang où son sujet achève de couler.
Article paru dans le journal Le Monde du 12 avril 2011 signé Raphaëlle Bacqué