A Moscou, le cadeau de Noël est venu de la Cour suprême. Grande nouvelle en effet avec un arrêt qui adopte la motivation de la Cour européenne des droits de l’homme, et annule une procédure dans l’affaire Ioukos. Quatre vingts ans après les procès de Moscou, il y a de quoi danser de joie !
Ioukos... Jusqu'en juillet 2004, c'était une des plus grandes compagnies pétrolières privées du monde, 20% de la production russe, acquise pendant la vague de privatisation des biens russes au début des années 1990. Le 20 juin 2003, une enquête pénale est ouverte sous le grief d'escroqueries commises dans le cadre de la privatisation. Plusieurs dirigeants de la société sont arrêtés, en commençant par Mikhaïl Khodorkovski.
Le 2 juillet 2003, c’est le tour de Platon Lebedev, le numéro 2 du groupe. Il est inculpé le 3 juillet, et le ministère public demande au tribunal de l'arrondissement Basmanny de Moscou son placement en détention provisoire. Platon Lebedev réclame un délai pour organiser sa défense : refus au motif que les avocats ont été prévenus deux heures à l’avance ! Lorsque les avocats arrivent, les portes du tribunal sont closes, et l’audience se tient à huis clos. Le mandat de dépôt est prononcé, puis prolongé : 28 août, 30 octobre, 30 décembre. Chaque fois les avocats font appel, mais la cour de Moscou tarde à examiner l’affaire, et entre temps est survenu un nouveau mandat. Et quand la cour se prononce enfin, le 9 février 2004, elle rejette le recours : tout est nickel, la justice peut poursuivre son œuvre. De fait, le petit jeu continue jusqu’au jugement, le 16 mai 2005, où Platon Lebedev écope de neuf ans de prison.
Enchaînement des recours, en vain, jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme qui dans un arrêt du 25 octobre 2007 (requête n° 4493/04) condamne la Russie pour détention arbitraire, par violation de l'article 5 de la Convention. Un véritable catalogue : absence de validité de la convocation des avocats, pas d’accès au dossier, audience en l’absence de l’accusé, maintien en détention en l’absence de titre, délais d’appel abusifs privant le recours de pertinence... Bref, la Russie est condamnée pour ses pratiques dans l’affaire Ioukos, et ses arriérations de fonctionnement.
Et pour le principal intéressé, me direz vous ? Un arrêt décoratif, car la condamnation définitive reste ? Eh bien, ce n’est pas si simple. Les avocats ont poursuivi la procédure, et ils viennent d’obtenir, ce 23 décembre, un arrêt de la Cour suprême de Russie qui fait sien le raisonnement de la CEDH, déclare illégale l'arrestation de Platon Lebedev, annule la décision du 3 juillet 2003 du tribunal de Basmanny, et demande un réexamen de l’affaire. Bingo ! A coup sûr, l’ami Platon Lebedev n’en a pas fini avec la justice, mais cet arrêt de la Cour suprême de Moscou a des airs de révolution… judiciaire.
D’abord, c’est l’illustration de la force indirecte des arrêts de la CEDH. Il existe une base fondamentale à un procès, et la justice qui ne la respecte pas n’est pas la justice. La Cour suprême de Moscou acquiesce. C’est un premier pas, mais un pas magnifique.
Ensuite, Dimitri Medvedev veut donner un coup d’accélérateur. Le lendemain de cet arrêt, il a accordé une grande interview à la télévision russe, promettant « une refonte du système judiciaire, de la police et des prisons » pour bouleverser ces institutions enkystées dans les méthodes de l'époque soviétique. Medvedev a dénoncé le tout-répressif : « Il nous faut comprendre qu'en ce qui concerne certains délits économiques, il n'est vraiment pas nécessaire de jeter les gens en prison ». De même, le président russe s'est montré très critique envers le fonctionnement de la police russe : « Les griefs de nos citoyens envers le ministère de l'intérieur se sont accumulés et une grande partie d'entre eux sont très certainement absolument justifiés. »
Les droits de l’homme deviennent une nécessité dans un pays qui veut s’ouvrir au monde. Le chantier est énorme, et nous suivrons l’évolution avec d’autant plus d’intérêt que la rivalité Medvedev/Poutine, de plus en plus visible, devrait ajouter un peu de sel.
http://lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr/archive/2009/12/25/la-cour-supreme-russe-adopte-les-droits-de-l-homme.html