Article : Expropriation Potentielle d'Actifs Russes de Danone et Conséquences Juridiques
Le 16 juillet, par le biais d'un décret, le président russe a transféré à Rosimushestvo, l'Agence fédérale des participations de l'État, la majorité des actifs russes détenus par Danone. Parallèlement, la nomination d'un vice-Premier ministre et ministre de l'Agriculture de Tchétchénie en tant que directeur général des activités russes de la société française a été annoncée. À moins d'un retournement inattendu, cette action semble constituer une expropriation voire une nationalisation. Il est peu probable qu'une indemnisation accompagne cette décision.
Un éclairage historique peut être instructif. En 1939, une loi a créé un fonds de secours pour aider les citoyens français établis en Russie avant la Première Guerre mondiale, qui avaient été dépouillés de leurs biens à la suite de la révolution russe. Ce fonds a été alimenté par des actifs en France appartenant à l'État russe, saisis à la fin de la Première Guerre mondiale. Initialement, ces saisies avaient des motifs différents. Au début de la Première Guerre mondiale, la République française avait accordé des avances à la Russie tsariste pour des fournitures militaires. Cependant, après la révolution russe de 1917 et la prise du pouvoir par les bolcheviks, l'Union soviétique a refusé de reconnaître les dettes du régime précédent envers la France. En conséquence, la France a saisi les biens russes en France pour recouvrer ses créances.
Bien que les précédents historiques ne soient pas nécessairement des modèles à suivre, ils offrent des enseignements. L'action subie par Danone a clairement causé un préjudice significatif qui mériterait une indemnisation. Les actifs nombreux de l'État russe et de sa Banque centrale situés en Europe, estimés à environ 300 milliards, pourraient être mobilisés à cet effet. Les mécanismes de gel d'actifs actuellement en vigueur en Europe pourraient être adaptés pour permettre des saisies visant à réparer les préjudices causés par les autorités russes envers des sociétés ou des individus, qu'ils soient ukrainiens, français, danois ou autres. Cependant, il est crucial que ces saisies respectent les principes fondamentaux de l'État de droit, notamment le droit de propriété. Ainsi, seule une décision judiciaire condamnant l'État russe pour le préjudice subi pourrait éventuellement mener à une exécution forcée sur ses actifs en France et en Europe.
Dans le cas de Danone, le groupe français peut invoquer le traité de protection des investissements signé en 1989 entre la France et l'URSS, que la Russie a repris. Non seulement ce traité interdit l'expropriation ou la nationalisation, mais il prévoit également un mécanisme de règlement des différends. En vertu de ce mécanisme, une condamnation de la Russie pour réparer le préjudice subi par Danone est possible.
Une fois une décision judiciaire obtenue, elle pourrait être mise en œuvre en Europe par la saisie d'actifs russes gelés par les autorités européennes. Cependant, cela nécessiterait des ajustements dans le dispositif européen pour permettre la compensation de toute victime des actions des autorités russes, à condition qu'une décision judiciaire ait été rendue en leur faveur.
Mathias Audit, professeur à l'École de droit de la Sorbonne (université Paris-I) et avocat associé (Audit-Duprey-Fekl Avocats), souligne ainsi les implications juridiques potentielles de cette situation complexe.
LES ECHOS : 27 07 2023